« Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » n'a jamais cessé de me répéter ma mère, lorsque j'étais dans mon lit, prête à aller dormir. Chez les Hemsworth, nous accordons tous une très grande importance à ce Dieu tout puissant. C'est grâce à lui que nous sommes présents et c'est pour lui que nous sommes ici. Depuis que je suis toute jeune, mes sœurs et moi avons été éduquées à même cette manière de penser. Mon père et ma mère ont aussi été éduqués de la sorte, tous comme leurs parents et leurs grands-parents. Autant mieux vous dire que le catholicisme chez les Hemsworth ne date pas d'hier. Je tiens quand même à mettre certaines choses au clair : nous ne sommes pas toujours de noir vêtues, châle sur la tête et marchant main dans la main, la croix de Dieu nous guidant. Ce sont des préjugés qui, avec le temps, se sont dissipés. J'aime à dire que nous sommes des catholiques modernes, c'est-à-dire que nous sommes libre de fréquenter qui nous voulons, de faire ce que nous voulons, en autant que nous gardons en tête les bonnes volontés de Dieu et nos valeurs si précieuses. C'est pour cette raison qu'à mes dix ans, j'ai fait vœu de chasteté jusqu'au mariage. C'est une chose qui me tenait à cœur et qui a toujours eu un symbolisme des plus importants, à mes yeux. Même si depuis toute jeune, je vis dans un univers très strict et surtout, très catholique; Église tous les dimanches, prières avant les repas, vœux de chasteté jusqu'au mariage et j'en passe, j'ai toujours bien apprécié cette vie. Mes deux jeunes sœurs et moi avons reçues la meilleure des éducations possibles via nos parents et ce jusqu'à l'entrée au lycée où on put enfin avoir un peu plus de liberté. Je fus l'élève modèle : excellentes notes, beaucoup d'amies, beaucoup de prestige, chorégraphe pour les meneuses de claque du lycée et membre de plusieurs clubs parascolaires. J'étais la fille parfaite, tout comme mes sœurs. Les gens nous respectaient. Brighton était une petite ville alors les nouvelles et les rumeurs allaient bon train, mais jamais nous n'avons été victime de propos mesquins ou de jugement quels qu'ils soient à l'égard de notre religion. Nous nous sommes très bien intégrées et ce fut ce qui m'aida à avoir beaucoup plus confiance en moi et en qui j'étais. Je commençais enfin à me rendre compte que je pouvais vivre une vie normale tout en ne me défaisant pas de mes valeurs les plus chères. J'étais heureuse. Tout simplement.


J'étais fidèle, pure et chaste. J'étais une bonne personne. Une personne modèle. Une fille qui a une tête sur les épaules, une intelligence à tout casser, des valeurs et des ambitions. J'étais parfaite. Parfaite en tout point. Alors pourquoi c'est à moi que ce genre de chose arrive ? Je n'ai jamais bu, je n'ai jamais fait d'excès de vitesse. Je n'ai jamais dépassé le couvre-feu. Je n'ai jamais été arrogante par amusement. Je n'ai jamais, jamais rien fait de mal. Alors pour quelles raisons s'en prend-on à moi ? J'avais dix-sept ans. J'étais avec des copains à une fête. Je ne buvais qu'une bouteille d'eau, tandis que mes amis buvaient de la bière bon marché trouvé dans le réfrigérateur de leurs parents. On s'amusait comme on le pouvait, avec les moyens du bord. L'hôte de la soirée nous avait accueillis avec tant de gratitude que s'en était presque louche, lui qui avait la plus grosse baraque de la ville. Et pourtant, ce soir là, je m'en moquais. Je m'amusais avec les miens, profitant de ma dernière année de lycéenne. Puis... Soudain, le noir total. Le néant. Le vide. L'absence de mémoire. Tout ce dont je me souviens – et peut-être aurais-je aimé ne pas m'en rappeler – c'est mon réveil. J'étais dans une chambre, couchée dans le lit, nue. Je voulais essayer de garder mon calme et pourtant les images se bousculaient dans ma tête. Je sortis du lit, me rhabilla et quitta les lieux. J'avais mal. J'avais peur. Ce n'est que quelques semaines après, après avoir passé des tests, que je réalisa la vérité : je venais d'être violer. Souillée, entachée. Dégoûtée. Et ma vie changea.


Je n'ai pas pu terminer le lycée. J'ai perdu contact avec mes anciennes amies – qui me trouvaient trop désagréable suite à mon changement de comportement –. J'ai fait couper mes cheveux très court, j'ai changé de style vestimentaire, j'ai fait deux tentatives de suicide... Tout ça, parce que je suis incapable de retourner à la vie que j'avais avant. J'ai jeter ma bague de chasteté, même si on peut dire qu'un viol ne compte pas. J'ai arrêté d'aller à l'Église, au grand désarroi de ma mère, parce que je ne me juge plus assez bonne catholique. Ma vie a perdu de son sens et tout ça parce que je suis égarée. Je suis souillée, entachée. Dégoûtée. Et je ne sais plus comment revenir celle que j'ai été. J'ignore par quoi commencer, par quoi dire en premier... Évidemment, je pourrais juste aller consulter, tout avouer et recommencer à zéro, mais... C'est plus difficile à dire qu'à faire. Surtout quand on est têtue comme moi et aussi difficile envers soi-même que je le suis devenue. J'attends encore mon sauveur. Celui qui saura me guider sur le chemin du pardon...