✤ Tu crains mec. Ta gueule. Tu serres les poings. Ça te fais chier que ton meilleur pote le prenne comme ça. Ça te fais mal au coeur.
Tu pourrais te réjouir pour moi quand même. Me réjouir ? T'as vingt-trois balais et tu vas être père ? T'as craqué sérieusement. C'est qui cette meuf aussi, là ? Ça t’écœure réellement qu'il le prenne comme ça. Il t'en croit pas capable. Toi-même, tu ne savais pas trop ce que tu devais faire. Tu l'avais pas voulu ce gosse. T'avais rencontré Abigail lors d'une soirée mondaine. Vous vous étiez bien entendu. Bien plu aussi. Vous avez essayé de construire quelque chose. Rien de très sérieux pour toi. À ses yeux, t'étais pas qu'un type de plus. Elle commençait à bien t'aimer. Tu la trouvais jolie puis ça te distrayait. Lorsqu'elle t'a annoncé qu'elle était enceinte, ça faisait tout juste trois mois que vous vous connaissiez. Vous vous fréquentiez depuis peu. C'était une erreur ce bébé. Horrible à dire, mais ton meilleur ami semblait l'avoir bien compris.
Elle s'appelle Abigail. C'est une fille bien. Dis-tu doucement. Un peu pour te convaincre que tu voulais vraiment tout ça.
Je sais pas ce qu'on va faire de ce gosse. En faire ? L'avortement mec. Tu veux vraiment te faire chier avec une gonzesse et un bébé ? Dis pas ça putain. C'est pas aussi facile. Réponds-tu. Tu ne connaissais pas bien cette fille. Tu l'avais pas présenté à ta famille. Ton pote était le seul à être au courant pour ta future paternité.
✤ Qu'est-ce qu'on va faire Ivo ? Te demande-t-elle, la voix un peu perdue.
J'en sais rien, réponds-tu. Vous saviez tous les deux que cette situation vous mettaient terriblement dans l'embarras. Vos familles respectives n'étaient pas au courant. Tu ne te sentais pas prêt à être père, mais d'un autre côté, ça te réjouissait aussi. L'idée d'un petit bout de chou à bercer le soir dans tes bras te rendait euphorique. Il fallait agir, car ça tarderait pas à se voir.
On le garde. T'avais prononcé ça comme si tu lui demandais de te préparer un sandwich pour la fac. Ahurissant. Tu te demandais bien pourquoi t'avais dit ça. Peut-être parce que tu voulais vraiment ce bébé. Ou peut-être parce que tu refusais de la confronter à un avortement. Soit c'est ta vie que tu foutais hypothétiquement en l'air, soit c'était la sienne. Une chance pour elle que t'étais pas le type le plus égoïste sur cette terre.
T'en es sûr ? Parce que je me sens pas capable d'être mère. Toi non plus, mais ça viendrait avec le temps. Enfin, tu l'espérais. Tu l'assumerais coûte que coûte ce bébé.
✤ Le temps passe et la grossesse d'Abigail se prolonge. Vous aviez prévenu vos familles respectives. Ce fût dur, mais ils ont bien fini par l'accepter. Ça été plus facile avec tes parents. Ta mère avait littéralement sauté au plafond. L'effet bébé dans la famille Viretti. Le voilà. Ton père l'avait un peu mauvaise. Ta sœur aussi. Ils avaient tous les deux eus du mal à comprendre. La famille passe avant tout. Voilà ce que tu leur avais répondu, même si ça paraissait un peu égocentrique.
Ivo chéri, tu peux aller me chercher des fraises au marché ? Tu te pliais à tous ses petits désirs de femme enceinte. À ses caprices aussi. Vous aviez bien évolué tous les deux. Elle faisait désormais partie de ta vie. Tu t'étais découvert une passion pour la jolie abigail. Tu tombais petit à petit amoureux d'elle. Et de son joli ventre qui s'arrondissait tendrement avec les mois. Les mois défilaient à une vitesse folle. Vous prépariez tout pour l'arrivée du petit bout. Vous ne connaissiez pas encore le sexe. Mystère et boule de gomme. Vous préfériez attendre la naissance. Quel romantisme.
Bien sûr, je te rapporte ça. Tu veux de la chantilly avec ? Demandes-tu un peu bêtement alors qu'elle détestait ça.
Tu sais bien que j'aime pas ça. C'est pas parce que je suis enceinte jusqu'au cou que je vais me jeter dessus. Oui, oui. Siffles-tu.
✤ Vingt-trois novembre deux mille douze. Dix-huit heures seize. Tu emmènes ta compagne à la maternité. C'est le grand jour. Tu vas être père d'ici quelques heures. Trop d'émotions te submergent d'un coup. Du bonheur. De l'amour. Et de l'impatience. Trois sentiments qui te mettent les nerfs à vifs. Alors qu'Abigail te gueule littéralement dessus, tu la conduis jusqu'aux médecins. Elle veut pas te lâcher. Elle te traîne jusqu'à la salle d'accouchement. Bon dieu. Ça te fait peur tout ça. Mais tu remarques qu'elle n'est pas au top de sa forme. Les médecins aussi. Elle a des pertes plutôt importantes. Ce qui t'inquiète. Les médecins t'arrêtent derrière la porte de la salle de travail. C'est là que tu commences à craindre pour votre petit bout. Puis pour Abigail aussi. C'est le genre de scène qu'on voit partout dans les films. T'as les boules. T'as la gorge serrée et les poings fermés lorsqu'une infirmière te refoule. Tu t'énerves. T'appelles ta mère. Tu lui apprends que t'es à la maternité avec Abigail. Mais ça va pas. Tu veux pas les perdre. T'as mis trop d'espoirs en ce bébé, trop d'espoirs en abigail. Ça te déchirerait. Deux heures s'écoulent. Tu attends toujours de voir Abigail et votre bébé. Tes parents t'ont rejoint. Les parents d'Abigail aussi. Vous êtes tous entassés dans la petite salle d'attente. Vous attendez de leurs nouvelles. Tu commences à flipper sérieusement. Ta mère essaye de te réconforter. Ta soeur te charrie. Mais tu veux pas rire à ce moment-là. T'entends une porte s'ouvrir. Tu relèves les yeux. Une infirmière arrive vers vous.
C'est une petite fille. Un premier soulagement.
Comment va ma fille ? Demandes ta belle-mère. Vous avez les yeux rivés sur la pauvre infirmière. Elle tire une tête déconfite. Quelque chose ne va pas.
Je suis désolée. Boom. Ça t'achève une fois pour toute. Tu t'écroules.
On a tout fait pour la sauver. Le malheur s'abat sur votre petite famille. Tu pleures. Tu lâches tout. Tu cries même. T'as besoin d'extérioriser cette douleur qui te prend durement le coeur. Tu demandes à la voir. C'est dur. Tout le monde pleure dans la pièce. Ses parents, son petit frère, toi, ta famille. Vous êtes tous détruits par son départ.
✤ À vingt-quatre ans, tu te retrouves tout seul. Papa d'une petite fille. Un petit bout de chou que t'aimais désormais plus que ta propre vie. Tu l'avais prénommé Elda. C'est le prénom qu'Abigail aurait voulu lui donner. Tu voulais garder ça d'elle. Que votre fille soit le symbole de votre amour. La présence d'Elda te rappelait chaque jour sa mère. Sa vie et sa mort. Lorsque tu te lèves le matin, tu penses à elle. Lorsque tu donnes le biberon à votre petit bout aussi. Ou lorsque tu changes ses couches. À chaque fois que tu poses le regard sur ta fille, tu te souvenais d'elle. Tu voyais ses yeux dans ceux d'Elda. Elle avait hérité des yeux bleus de sa maman. Quel bonheur de s'y perdre, n'est-ce pas ?
Maman serait fière de toi bébé. Prononças-tu alors que tu t'apprêtais à talquer les fesses de ta fille. Elle te regarde. Sa frimousse te fait rire. Bébé est adorable. Elle te rend fier. Puis heureux aussi. Parce que bébé est la plus belle chose qui t'es arrivé. Tu continus de te battre pour elle. Pour qu'elle soit fière de son papa. Alors oui, tu te transformes en papa poule. Oui, tu la couves un peu trop. Oui, tu l'aimes plus que tout.